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Confidences au journal L’Express

Dépôt de bilan

Ils sont rares, ces patrons qui acceptent de parler de leur échec. Ludovic Bréant, qui a connu « le fond du trou » après avoir côtoyé les sommets, livre au journal L’Express son expérience d’entrepreneur en déroute. Une histoire de ténèbres et d’heureuse renaissance.

J’ai vécu mon dépôt de bilan comme une honte, une infamie

« Je compare souvent le dirigeant au boxer. Il prend un coup, parce qu’il n’a pas assez anticipé. On s’interroge alors sur son degré de lucidité suite au choc. » Jean-Charles Simon, du cabinet d’avocats Simon & Associés, filait la métaphore ce 27 janvier, à l’occasion d’une matinée de réflexion intitulée « Le dirigeant à l’épreuve des difficultés ». Un atelier auquel a pris part également Ludovic Bréant, client du cabinet venu témoigné de son expérience d’homme d’affaires ayant effectivement pris des coups. Interview.

Dans quelle mesure avez-vous connu le succès avant l’échec ?

J’ai créé une centaine d’entreprises. Avant de connaître des bas, j’ai connu des hauts, avec notamment une introduction en bourse en 1999, et la revente d’une société à une banque, ce qui m’a fait gagner plusieurs dizaines de millions d’euros. J’aurais pu profiter de ce pactole pour couler des jours heureux, mais j’ai eu envie d’un nouveau challenge et, en 2003, j’ai lancé un nouveau groupe, avec diverses activités dans l’immobilier, la construction en bois et l’hôtellerie.

C’est la crise de 2008, qui vous a ébranlé ?

Oui, les problèmes ont commencé avec la baisse de 40% du chiffre d’affaires de nos trois unités de production. Cette chute d’activité a entraîné le reste. D’autant que j’ai tardé à réagir. Tellement convaincu que j’allais remonter la pente, j’ai eu une période de déni. Pendant des mois, j’ai réinjecté dans l’entreprise une grosse partie de mon patrimoine personnel. Je n’étais plus vraiment lucide. J’étais pris dans un engrenage, je n’avais pas de recul. Ce n’est qu’au bout d’un an que je me suis décidé à demander de l’aide pour sortir de la situation. J’ai fait appel à un manager de transition. Une belle expérience. Il était brillant. Il a fermé certaines entreprises, en a fusionné d’autres, il a remobilisé mon équipe de direction. Mais le mal était trop profond. Après procédure de sauvegarde, redressement et liquidation judiciaires, l’aventure s’est soldée sur un dépôt de bilan. Il y a des entrepreneurs qui considèrent cette étape comme un simple acte administratif. Pour moi, ça a été la honte, l’infamie.

Que sont devenus les salariés de votre groupe ?

Nous avons limité la casse en trouvant des repreneurs pour trente hôtels et les usines ont toutes été reprises sauf une.

Vous avez été jugé dans trois tribunaux de commerce différents. L’expérience est-elle similaire d’un tribunal à l’autre ?

Pas du tout ! Dans les deux tribunaux parisien et francilien, tout s’est bien passé. Dans celui de province, en revanche, ce fut cauchemardesque. Dans une « petite ville » de 100 000 habitants, il n’y a pas d’anonymat. Ma société avait fait travailler auparavant les juges consulaires dans le cadre de leurs autres activités professionnelles non bénévoles. Mes avocats ont vite estimé, au vu de certains éléments, que mon cas n’allait pas être traité de manière impartiale. Ils ont obtenu un dépaysement judiciaire, pour que l’affaire soit jugée ailleurs. Le contexte peut être difficile, en région, quand tout le monde vous connait. J’étais celui qui avait réussi, on jalousait cette réussite et mon train de vie. Quand les choses se sont mal passées pour moi, les critiques ont vite viré à la haine.

Y compris dans les médias ?

La presse a tout amplifié. Ca a été désastreux sur un plan familial. Je revois encore mon fils de dix ans me demander si j’allais aller en prison. Avec le recul, je pense que les medias locaux n’auraient pas été aussi virulents si j’avais été un peu plus ouvert avec eux dans le passé. A une époque où j’étais un peu arrogant, je les traitais par-dessus la jambe, et cette attitude a laissé des traces. A côté du traitement médiatique, il y a aussi la rumeur, à gérer. L’été dernier, moi et ma femme sommes revenus dans la ville où tout cela s’est passé – car nous avons depuis déménagé – et nous avons rencontré un couple d’amis que nous n’avions plus revus depuis longtemps. ‘Tiens ! Vous êtes ensemble ? On nous avait dit que vous aviez divorcé’, nous ont-ils lancé. Parmi les autres fausses informations qui circulent, il y avait aussi apparemment le fait que notre maison secondaire a été saisie, que j’ai un tas de procès en cours au pénal, et que j’ai fait de la prison !

Déménager était une fuite ?

Vous savez quand ma femme croisait des connaissances dans la rue, celles-ci changeaient de trottoir. Alors, ce déménagement était un choix familial judicieux pour repartir à zéro. Nous étions devenus infréquentables.

Quel regard posez-vous sur cette expérience de vie ?

J’ai fait un gros travail sur moi-même, pour essayer de comprendre ce qui m’était arrivé et me comprendre moi-même. J’ai lu beaucoup de philosophes, de sages, de livres sur le développement personnel, j’ai participé à des stages… Aujourd’hui je sais que, au même titre que peuvent l’être d’autres épreuves comme un divorce ou un cancer, ce dépôt de bilan m’a permis de me rendre compte que je n’étais pas à ma place, dans la vie d’entrepreneur que je m’étais construite. SI je courrais après le succès et l’argent, c’était pour plaire à mon père. J’étais devenu fou ! Je courrais d’acquisition en acquisition, je voulais toujours plus. Désormais, je veux donner du sens à ma vie. J’ai ouvert un blog pour essayer d’aider d’autres entrepreneurs en difficulté. Je suis aussi en train d’écrire un livre. Je recréerai sûrement d’autres entreprises, mais je n’aurai jamais plus de boulimie d’activité comme avant. Et surtout je n’entreprendrai plus pour gagner de l’argent. Mon activité sera tournée vers l’humain et l’altruisme.

Voir l’article sur le blog de L’Express

 

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